Coraline EST Charlie (fiction : épisode II)

Nous avons laissé, dans la matinée du 8 Janvier 2015, sur le seuil du domicile des Bergeret, Charlotte aux prises avec Coraline clamant son enthousiasme après la manifestation spontanée de la veille et son adhésion totale au slogan apparu dans les heures ayant suivi la tuerie de Charlie-Hebdo.

Derrière la porte de mon bureau, j’évitais de me manifester, me demandant comment Charlotte allait se tirer d’affaire. Zoé dont je devinais la présence de l’autre côté du couloir, dans l’entrebâillement de la porte du séjour, partageait probablement mes inquiétudes—ou peut-être, autre hypothèse plausible, se tordait-elle de rire –

Charlotte expliquait que nous n’étions pas vraiment Charlie, que ce slogan quand nous l’avions découvert la veille à la télé nous avait paru au moins maladroit voire dangereux, susceptible de trop d’interprétations possibles, que la trop merveilleuse unanimité à l’adopter nous inquiétait un peu… Elle tentait de faire valoir nos réticences, notre crainte d’une probable récupération sécuritaire de l’émotion actuelle, des conséquences de l’action sans réflexion qui allait venir… Elle avait bien du mal à en placer une et à rester cohérente sous un déluge continu de « C’est la liberté d’expression qu’ils attaquent », « On ne peut pas rester indifférent », « C’est Cabu, nom d’un petit bonhomme ! Tu te rends compte ! Cabu ! », « On ne peut pas, on ne doit pas se croiser les bras ! », « Il faut prouver qu’on est soudés, qu’on fera face »,…

Je me surpris à penser « Quel crampon ! », une expression familière de ma grand-mère ressurgie du fond de ma mémoire.

Zoé, qui en oubliait de se dissimuler, se tordait de rire.

« Mais contre qui vous battez-vous ? » demandait Charlotte.

--Ce n’est pas la bonne question, je préférerais « contre quoi » ou « pour quoi », pour quoi en deux mots évidemment. Contre l’obscurantisme, Pour la liberté de conscience, Pour la liberté de la presse,…

--De beaux mots, certes ! De grands mots mais…Je crains surtout que certains y trouvent un prétexte… Je vois déjà pointer les grandes oreilles de ceux qui désigneront un qui et non un quoi… Quant au pourquoi—pourquoi en un mot, je précise--, on se gardera bien d’en parler. Je vais te faire hurler, mais pour moi ces tueurs sont aussi des victimes…

--Non ! Tu ne veux quand même pas me faire pleurer sur eux ? ils ont tué Cabu, non ? Et Charb ! Et Oncle Bernard ! Et Wolinski ! Non, quand même ! Bon ! Je rentre chez moi… On finirait par se fâcher…

Et Coraline est rentrée chez elle.

(à suivre)